« Il faut aider Emery à construire une équipe capable de remporter le titre » – Interview exclusive de Robert Pirès

Nous vous promettions une toute petite surprise. On ne vous avait pas menti. Si on vous dit « Muscle ton jeu, Robert ! » ça vous parle un peu ? 

Et ouais, Robert Pirès nous a fait cet honneur. Alors découvrez et appréciez cette interview d’une des légendes d’Arsenal. Il y parle Arsenal, Unai Emery, Arsène Wenger et du métier d’entraîneur parmi ces grands noms du coaching.

Arsenal est aujourd’hui 5ème du classement, à seulement 1 point du Top 4 et à 3 points de Tottenham 3ème. Le début de saison d’Arsenal est très satisfaisant en bien des points. Comment jugez-vous ces quelques premiers mois ?

Robert Pirès: « Pour moi, il est très bon dans la mesure où lorsqu’il y a un changement d’entraîneur, c’est jamais évident pour lui et aussi pour les joueurs. Je trouve qu’Unai Emery a sa méthode de fonctionnement, de travail, et les joueurs ont répondu présent à ce changement qui n’est pas facile. Il faut le souligner. J’aime beaucoup le début de saison qu’est en train de réaliser Arsenal. »

Vous attendiez-vous à un tel départ ?

RP: « Il ne faut pas oublier que le mois d’Août a été difficile parce qu’on a perdu contre Manchester City et Chelsea, deux concurrents directs au titre. Après ça, je crois qu’on a connu une très très bonne série de victoires, on ne perd plus. C’est bien au niveau de la confiance, de la structure de ce qu’est en train de mettre en place Unai Emery autour de l’équipe. C’est bien parce qu’on s’aperçoit qu’il y a eu beaucoup de changements et que les joueurs répondent finalement présents. »

Est-ce qu’on ne s’emballerait pas un peu vite ? Une statistique court encore aujourd’hui selon laquelle Arsenal est la seule équipe à ne pas avoir mené à l’issue d’une première mi-temps en championnat. On s’aperçoit également en regardant les matches que les Gunners ont encore de réels problèmes défensifs. N’est-ce pas normal finalement ?

RP: « C’est normal dans la mesure où les joueurs doivent s’adapter à la nouvelle méthode d’Unai Emery. Il faut le dire. Le constat que je fais, c’est que nous sommes assez moyens en première mi-temps, mais on finit très fort les matches. Ce constat je le fais parce qu’aujourd’hui, je me rends aux entraînements d’Arsenal, et je peux vous dire, je peux le dire à tout le monde : les séances qu’effectue Unai Emery sont assez épuisantes, assez poussées. Elles sont rythmées entre 1h35 et 1h45, durée pendant laquelle Emery demande de la très haute intensité. C’est pour ça qu’Arsenal finit fort ses matches. Donc il faut juste trouver le bon tempo entre la première et la deuxième mi-temps et une fois qu’on aura trouvé cela, Arsenal sera beaucoup plus confiant au niveau des résultats. »

Vous parlez de la méthode d’Unai Emery, beaucoup de spécialistes affirment qu’il a apporté beaucoup de discipline et beaucoup de travail. Le mot « travail », on l’entend énormément en conférence de presse dans la bouche du coach. Emery apporte-t-il cela en particulier à Arsenal ? Le travail ?

RP: « Oui bien sûr. S’il le dit, c’est que c’est vrai. Et personnellement, aujourd’hui, je peux le confirmer. Les séances d’entrainement sont pures et rythmées, et il ne fait de cadeau à personne. Quand il faut prendre des responsabilités, quand Emery dit en conférence de presse que le match de Bournemouth sera une rencontre très compliquée et qu’il décide de laisser Mesut Özil sur le banc, il prend une vraie décision. Cette décision n’est pas une sanction à l’encontre de Mesut Özil. Il estime qu’il faut jouer différemment, et il sait très bien que Mesut Özil est très très important pour son équipe. C’est une décision de coach sur ce match en particulier. »

Dans une récente interview, vous affirmiez qu’Arsenal devait être un concurrent au titre, tout comme le sont Liverpool, Chelsea, Manchester City. C’est l’objectif réaliste d’Arsenal cette saison ?

RP: « Il faut avoir des objectifs. Aujourd’hui, tout le monde sait que suivre le rythme de Liverpool et Manchester City va être dur. Mais lorsqu’on voit le match réalisé il y a trois semaines face aux Reds, je me dis qu’on peut rivaliser avec eux. On parle d’Arsenal. On parle d’une certaine qualité. Un groupe est en train de se former. Unai doit travailler. Il doit rectifier des choses sur le plan défensif. Je trouve que c’est un peu notre principal défaut. Mais quand on parle de défense, ce ne sont pas seulement les 4 défenseurs. C’est toute l’équipe qui doit défendre. C’est là qu’il doit trouver le bon équilibre. »

En début de saison, un joueur comme Aaron Ramsey appelait à la patience avec ce nouveau projet. Après la défaite d’ouverture face à City, Gary Neville affirmait qu’il avait fallu à Guardiola 3 ou 4 mercatos pour construire le monstre qu’est aujourd’hui City, et qu’il en faudrait sans doute autant à Emery. Pensez-vous qu’Unai s’est engagé dans un projet qui pourrait connaître son apogée dans 2 ans à la manière du Liverpool de Klopp ou du Manchester City de Guardiola ?

RP: « Guardiola réalise un très bon travail parce qu’on lui a laissé le temps. On l’a laissé construire une équipe. Si on décide de nommer Unai Emery, c’est au moins pour un projet de 3/4 ans, qui aboutisse sur des victoires. Un peu à l’image de Liverpool avec Klopp. Il faut en prendre exemple et il faut surtout aider Emery à construire une équipe qui soit capable un jour de regagner le championnat anglais. Il faut que ce soit l’objectif du club. C’est très important. »

La restructuration d’Arsenal n’a pas été que sportive mais plus large. Ivan Gazidis a récemment quitté le club et a été remplacé en interne par Raul Sanllehi et Vinai Venkatesham. Dans une interview à Skyports, les deux évoquaient ces changements en des termes intéressants. Ils parlaient d’évolution et non de révolution. La nomination d’Emery au poste de head coach et non manager y participe. En Angleterre, tout ceci est assez nouveau. Qu’est-ce que cela dit d’un modèle anglais qui serait obligé de se réinventer pour permettre aux clubs anglais de revenir sur le devant de la scène européenne ?

RP: « C’est une évolution. Le rôle de manager était celui d’Arsène Wenger. Aujourd’hui, il n’est plus au club donc il faut redistribuer les cartes. Unai Emery est l’entraîneur. Deux personnes ont pris le relais de Gazidis parti au Milan AC, Raul et Vinai. On restructure le club. Il faut être patient. Il y a des étapes à respecter. La prochaine étape pour le club doit être de rejouer vite la Champions League, parce que c’est le plus important. Et il faudra par la suite que l’on puisse rivaliser avec les City, Chelsea et Liverpool. »

On ne peut parler avec vous d’Arsenal et du métier d’entraîneur, sans évoquer deux anciennes légendes d’Arsenal, deux de vos anciens coéquipiers dont on parle beaucoup en France. Patrick Vieira a récemment signé à Nice en provenance de New York, et encore plus récemment Thierry Henry a accepté le challenge Monaco. Qu’est-ce que cela vous fait de voir vos deux anciens partenaires à Arsenal prendre en charge de telles équipes et avoir le courage d’accepter des challenges très compliqués dans des contextes très différents ?

RP: « Je suis content pour Pat et Titi parce que cela apporte une fraîcheur au football. Ce sont de jeunes entraîneurs, de nouveaux visages sur le banc, des joueurs qui ont été très bons quand ils étaient sur le terrain et qui peuvent amener autre chose en tant qu’entraîneurs. C’est très bien et ça fait du bien pour le football en général.
Ensuite, je ne sais pas si c’est du courage mais les deux sont très passionnés par ce nouveau challenge, ce nouveau mode de fonctionnement et de vie. Ils replongent dans le monde du football. Ce qu’il faisaient en tant que joueurs, ils vont le refaire pendant encore des années. Ce sont des passionnés. »

On évoquait le terme de courage notamment par rapport à Thierry Henry qui décide de prendre un Monaco qui lutte pour son maintien alors que l’équipe était programmée pour jouer les places européennes.

RP: « Il le savait. J’ai pu discuter avec lui. Titi est quelqu’un d’intelligent, il sait ce qu’il va faire. Il sait que ce sera compliqué dans certains matches, dans certains autres, ça lui sourira, comme à Caen où il décroche sa première victoire. Hier, il a appris d’autres choses encore avec la Champions League. Titi est là pour écouter, pour engranger de l’expérience et je suis convaincu qu’il va réussir. »

En fin de saison dernière, vous disiez dans une interview que vous étiez prêts à offrir votre aide dans le staff d’Arsenal et que vous espériez que ce soit envisagé par le club. Dans les jours et dans les semaines qui ont suivi, des rumeurs ont fait état de votre arrivée prochaine dans les staffs d’Arteta lorsqu’il était question de son arrivée, et dans celui d’Emery. Ces rumeurs étaient-elles fondées ?

RP: « C’était fondé. J’avais proposé mes services au club, à Unai Emery, à Ivan Gazidis. Unai était très intéressé par mon profil, mais ça ne s’est pas fait, et je respecte énormément cette décision. Le club avait dans son staff Steve Bould et avait décidé de le garder. Mais il n’y aucun problème. »

On avait effectivement entendu des infos affirmant qu’Emery voulait quelqu’un d’expérience, connaissant le club, anglophone et hispanophone…

RP: « Oui. J’ai eu Emery au téléphone, et il m’a dit qu’il était intéressé par mon profil, qu’il savait que j’étais proche des joueurs, que je parlais anglais, espagnol et que je pouvais aider. Il en a ensuite parlé au club et le club m’a aussi dit qu’il était très intéressé mais Steve Bould était en place et ils avaient décidé de le conserver. Tout simplement. Et je respecte. »

Devenir entraîneur est-il un objectif pour vous à court, moyen, long terme, ou pas du tout ? On vous voit très proche du club, le représenter dernièrement avec le partenaire économique Lavazza, parler d’Arsenal en utilisant le mot « nous »…

RP: « Mon rôle est d’être ambassadeur du club, de participer à des événements pour Arsenal. J’utilise le terme de « nous » parce que je continue à aller à l’entraînement, je continue à parler avec les mecs qui reviennent de blessure et je les connais tous. L’une des volontés pour moi serait d’intégrer le staff, de travailler avec eux, parce que je connais les joueurs, je me sens bien avec eux. Je pense aussi pouvoir leur apporter quelque chose. On verra si ça se fera. »

On voit qu’Arsenal effectue dernièrement un vrai travail pour intégrer des anciens joueurs dans le club. Per Mertesacker dirige l’académie, Freddie Ljunberg est entraîneur des U23. Est-ce que ça pourrait être pour vous une porte d’entrée vers le métier d’entraîneur ?

RP: « Aujourd’hui, je n’ai pas de projet de devenir entraîneur parce que je n’ai pas ça en moi. Je suis convaincu que si j’intègre le staff, cela pourrait me donner des idées. Pour l’instant, je n’ai pas ça en moi. Je suis heureux que le club fasse appel à Per et Freddie parce que ce sont des anciens joueurs, parce qu’ils ont apporté quelque chose au club. Si demain, on fait appel à moi, je répondrai présent directement, sans hésiter. »

Plus généralement, la Ligue 1 a permis de lancer de jeunes coachs sans réelle expérience de management d’une équipe première. La Ligue 1 est-elle plus accessible pour les entraîneurs sans réelle expérience ?

RP: « Je pense que c’est une bonne entrée en matière, si on veut commencer. La Ligue 1 est un bon championnat. On parle toujours du PSG mais on voit ce dont est capable Lyon notamment face à Manchester City en Champions League, on se rend compte que ce championnat est plein de qualités, pleins de talents. La Ligue 1 est un bon début pour un jeune entraîneur. Si Titi et Pat l’ont fait c’est aussi pour de bonnes raisons, c’est parce qu’ils sont persuadés de pouvoir réussir. »

Difficile de parler football anglais, football français, d’Arsenal et du métier d’Arsenal sans penser à Arsène Wenger. Comment avez-vous appris et accueilli la nouvelle de son départ ? 

RP: « Par la presse. Un peu comme tout le monde, je pense. J’ai été surpris parce que je ne m’attendais pas à ça, même si je savais qu’un jour ou l’autre, il allait prendre cette décision. A chaque fois, on repoussait ce moment en se disant « Il a le temps ». Il a pris la décision d’arrêter et ça n’a pas dû être facile pour lui. » 

Ces dernières semaines, on a appris que le terrain lui manquait et qu’il s’était fixé une date symbolique pour revenir, le 1er janvier 2019. Le voyez-vous rester proche du terrain – on parle du Real Madrid et du Bayern Munich tous deux mal en point en championnat – ou plutôt opter vers une position plus décisionnaire et sportive dans un club – le projet de devenir directeur sportif du PSG en soutien de Thomas Tuchel avait été évoqué ?

RP: « S’il a décidé d’arrêter avec Arsenal, c’est qu’il avait besoin d’un break. Besoin de respirer, de penser à lui. S’il a pris cette décision c’est qu’il sentait qu’il en avait besoin. Aujourd’hui, il s’aperçoit qu’il a besoin d’être sur un banc, proche du terrain, parce que c’est un connaisseur du football, un amoureux du football qui connaît beaucoup de choses et qui regarde beaucoup de matches. Je serai plus heureux de voir Arsène sur un banc plutôt que directeur sportif. C’est un passionné du terrain. Il en a besoin. » 

Une nouvelle fois, un grand merci à monsieur Robert Pirès pour sa proximité et sa simplicité dans nos échanges. Pouvoir converser par téléphone avec ce grand monsieur du football fut une expérience inoubliable en tant que supporter d’Arsenal. Respect Mr Pirès !

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