Plus de 600 jours, plus de 10 opérations et une reconstruction complète du tendon d’Achille : Santi Cazorla raconte l’épreuve d’une blessure qui aurait pu le faire arrêter le foot

Il y a quelques jours, le Guardian publiait une interview poignante de Santi Cazorla dans laquelle l’ancien magicien de l’Emirates évoquait le calvaire vécu depuis plus de 600 jours. Cette interview menée par Sid Lowe vous est retranscrite ici. 

Santi Cazorla joue aujourd’hui les stars de Villareal après qu’une terrible blessure ait mis fin à sa carrière avec les Gunners. Il raconte ses expériences de chirurgie, nous parle de son ancien club et d’une retraite qu’il était proche de devoir prendre.

« Je suis un puzzle, affirme Cazorla. Le joueur doit vivre avec un morceau de son bras gauche sur sa cheville droite et un bout de cuisse à sa place, et de l’arrière de sa jambe sur un talon. Mais surtout un sourire sur son visage. Il doit aussi faire avec une plaque en métal dans son pied et de nouveaux tendons d’Achille faits à partir de tendons issus des ischio-jambiers, à l’endroit de la nécrose. Il nous montre ces parties du corps qui ne devraient pas être à cet endroit, un joueur pour qui le terme de « raccommodé » s’applique littéralement. De son tatouage sur le bras il ne reste que « I, n,d… » sur le bras et « …i,a » sur la cheville. Le nom de sa fille coupé en deux et greffé sur sa cheville à l’endroit où il y avait avant un trou, une vision de l’horreur.

Un jour vous pourrez vous renseigner sur les blessures de Cazorla. « Mikel Sanchez, le chirurgien, m’a impliqué dans toutes les discussions, pour lui c’était un cas d’école », dit-il. « Ses physios et lui nous ont dit qu’ils n’avaient jamais vu un cas aussi extrême. » Des blessures au genou, au pied, à la cheville, des échecs, des rechutes incessantes, et 10 opérations. En-dessous de la peau, complètement ouverte et exposée, une infection a ravagé 10 cm de tendon laissant l’os à nu et spongieux, avec un réel risque de perdre la jambe et de mettre fin à sa carrière.

Arsène Wenger avait dit que c’était la pire blessure dont il avait été témoin et un médecin avait dit à Cazorla de se faire à l’idée de ne plus pouvoir fouler une pelouse. « Je suis fou de football », dit-il, et pendant 636 jours, Cazorla n’a pas pu jouer. La plupart pensait qu’il ne rejouerait plus. Certaines nuits, seul loin de chez lui, il a abandonné. « Je parlais à ma famille et leur disais : C’est fini. Demain, je dirai à Juancar, le kiné : je ne peux pas aller plus loin, mec. » Mais le voici, tout droit sorti de l’entraînement. Il a démarré les trois matches disputés par Villareal cette saison.

« Je dois me pincer lorsque je me rends compte que je joue samedi. J’apprécie tous ces moments, chaque instant. Je comprends les joueurs qui disent que c’est dur d’être coincé dans un hôtel la nuit avant les matches, mais je me suis retrouvé seul dans des hôtels, dans des hôpitaux. Je me suis battu pour ça. »

Tout remonte à un coup reçu face au Chili lors d’un amical joué en Septembre 2013. Mais cela ne permet pas de rendre compte de toute l’histoire, une somme d’événements pendant 5 ans.

Il s’est brisé un os dans la cheville, s’est blessé au ligament du genou en Novembre 2015 et a joué avec des grosses douleurs jusqu’à cette rencontre face à Ludogorets en Octobre 2016. « Les mi-temps m’achevaient, parce que je me refroidissais, j’étais paralysé et je boitais au début de la seconde période, et la douleur devenait de plus en plus insupportable. Cette nuit-là, j’ai pleuré. C’en était trop. Ça devait s’arrêter. Et c’est là que les problèmes ont commencé. »

« Ce n’est pas une blessure importante« , avait alors dit Wenger mais Cazorla n’a jamais reporté le maillot d’Arsenal. Sa peau s’est détériorée, s’est ouverte et l’infection a attaqué la jambe.

« J’ai subi cela sur la table d’opération, et le problème a ensuite été que la plaie est restée ouverte », explique-t-il. « J’ai dû travailler sur vélo et des points de suture se sont défaits. Et parce que cette plaie s’est ouverte, une bactérie a pu rentrer, des bactéries sont entrées. Cette nuit-là, un liquide jaune a coulé de la plaie. A chaque fois qu’ils me recousaient, cela s’ouvrait à nouveau, toujours plus de liquide. Ils ont effectué une greffe de peau mais ils n’ont pas vu ce qu’il y avait à l’intérieur de la plaie – la bactérie rongeant. Ils n’ont jamais trouvé de quelle bactérie il s’agissait. »

« Ils m’ont dit: ‘Ne te concentre pas sur le football, mais sur le fait de réussir à reprendre une vie normale, à jouer avec ton fils et te promener.’ Mais je n’ai pas accordé d’importance à tout cela parce qu’à l’époque, j’avais déjà décidé d’aller en Espagne où ils m’avaient dit des choses totalement différentes. »

« J’étais fatigué de tout ça. J’ai traversé deux ou trois moins d’opérations successives. Je me suis rendu à Vitoria le lendemain, et c’est là qu’ils ont découvert la bactérie – deux dans le tendon, et une autre dans l’os. »

« Ils ne savaient pas à quel point le tendon avait été ravagé par l’infection« , poursuit-il en traçant une ligne le long de sa jambe, marquant des pauses au mollet, au genou, à la cuisse. « Mikel m’a dit: ‘Je vais t’ouvrir la jambe et trouver l’infection.’ Ils m’ont dit qu’ils allaient devoir ouvrir, ouvrir, et ouvrir à nouveau et quand ils l’ont fait, ils ont réalisé que j’avais perdu 10 cm de tendon. Ils m’ont affirmé que j’avais été chanceux parce que j’aurais pu en perdre encore davantage. Quand il a du reconstruire le tendon, il a réalisé à quel point l’os était en très mauvais état. Il pouvait passer ses doigts au travers. C’était comme de la pâte à modeler. C’est encore plus dangereux. »

La découverte a été relayée. « Les docteurs anglais ont dit: ‘Nous savons’. Ils ont dit que c’était sous contrôle. ‘Nous t’avons donné des antibiotiques.’ Mais donner des antibiotiques n’est pas la même chose que de donner l’antibiotique exact pour combattre le microbe. Ils ne savaient pas quelle bactérie dévorait le tendon. »

L’incroyable greffe de peau subie par Santi Cazorla

Cazorla a passé le plus de temps à en rire mais il peut y avoir de la rancœur. Un sens de la responsabilité. Après tout, il venait de risquer l’amputation. A-t-il pensé à prendre des mesures ? « Ma famille me l’a conseillé mais les gens ont dit que ça n’en valait pas la peine. Vous pouvez vous sentir frustré parce que s’ils avaient découvert cela le premier jour, le problème aurait sans doute été minime, mais je ne vois pas en quoi cela réglerait les choses. C’était une grosse galère mais cela ne ferait aucun bien de se battre en raison de ces problèmes médicaux. »

« Ils n’ont jamais pris leur responsabilité, ne se sont jamais excusés, ils n’avaient pas réalisé. Je suis certain qu’ils pensent avoir fait les choses bien, que ce n’était pas parce que la bactérie n’avait pas été découverte, que ce n’était que de la malchance. Je ne crois pas qu’ils se sentent coupables. Et Arsène m’a toujours soutenu. Il a prolongé mon contrat avant la première opération, ce qui était un geste incroyable de sa part. Il est venu: ‘Santi, je vais activer l’année en option dans ton contrat. Signe-la, passe ton opération, l’esprit tranquille.’ Cela m’a aidé à me consacrer à ma rééducation sans peur. Je lui en serai éternellement reconnaissant. »

Il est naturel de se demander ce qui aurait pu se passer si des décisions différentes avaient été prises, au Chili déjà. « Je ne me blâme pas mais c’est vrai que j’ai subi ce coup à la 20ème minute et que j’ai joué les 90. Je me demande souvent: ‘En n’étant pas égoïste, en ne pensant pas à moi-même, la blessure a empiré.‘ Si j’avais dit: ‘Sors-moi … Les gens m’ont dit que j’aurais dû être plus intelligent, mais je ne vais pas devenir égoïste. Arsenal a demandé: ‘Pourquoi tu n’as pas été remplacé ?‘ Mais ils ont respecté ma décision. Quand la fissure s’est montrée, on m’a suggéré d’arrêter mais j’ai refusé – c’est un coup, mets un bandage dessus, et la semaine prochaine je pourrais jouer. »

« Certaines personnes ont sans doute fait des choses qu’il ne fallait pas – peut-être que je n’aurais pas dû passer par la moitié de tout ce que j’ai vécu – mais je suis celui qui a décidé de faire avec. Je pourrais accuser des gens mais au final, c’est moi. J’aurais dû venir en Espagne dès le premier jour. »

Quand il le fit, Sanchez reconstruisit le tendon de Cazorla en utilisant un muscle prélevé de son ischio-jambier et inséra une plaque en métal dans son talon. « A Londres, ils avaient plus ou moins décidé que je ne rejouerai plus. En Espagne, ils m’ont dit: ‘Santi, c’est moche, assez détruit, mais on va se battre.' » Cazorla a alors quitté sa femme, Ursula, et ses deux enfants à Londres, et s’est rendu à Vitoria pour se soigner, puis à Salamance pour sa rééducation – vivre une vie anonyme, silencieuse, solitaire et surtout dure. Les progrès ont été lents et plus de procédures ont suivi. A un moment, le tendon nouvellement construit a dû être défait du tissu et rattaché.

« A certains moments, j’étais prêt à abandonner. C’est encore plus dur quand vous ne voyez pas d’améliorations. Je parlais au staff médical, et ils me disaient: ‘Tu veux jouer ?’ ‘Oui’ ‘D’accord, donc ça se passe comme ça. Aujourd’hui, on travaille. Demain, tu verras.’ Et j’ai commencé à voir des choses minimes. Un jour, tu arrives sur un terrain et ton esprit se libère. Wow ! Tu reviens à l’hôtel avec un très grand sourire. Les kinés ont été plus intelligents, ils m’ont entouré. Ils me donnaient un ballon et … madre mia ! Cela m’a fait sentir comme un footballeur à nouveau. Et ils m’ont dit: ‘Demain, encore plus de travail avec le ballon.’ Et avec ces petites choses, cela me faisait me lever le matin. »

« Ma famille m’appelait: ‘J’ai touché le ballon.’ ‘Et comment ça s’est passé?’ ‘Douloureux mais j’ai touché le ballon!' » De retour à Londres d’abord puis Oviedo, India, alors âgé de 5 ans, et Enzo, de 8 ans, avaient grandi. « Les enfants ont changé d’école trois fois en un an et nous ne savions même pas si cela en vaudrait la peine. J’arrivais à la maison pour une nuit et le lendemain ils disaient déjà: ‘Papi, tu pars déjà, n’est-ce pas?’ Ils en sont venus à trouver ça normal et ça m’a détruit. Mais je l’ai fait pour eux parce que mon fils est fou de foot aussi. »

Cazorla nous montre. C’est dur de ne pas fixer la cicatrice sur le bras. Sur le terrain plus loin, Enzo touche encore le poteau. « Il m’a dit: ‘Tu ne vas plus rejouer au foot?' » Cazorla dit, en gonflant ses joues. « Si, si, je vais rejouer, c’est sûr. ‘Avec ce pied ? C’est bizarre, non ?’ J’ai dit: ‘Et bien, c’est différent. Il vaut mieux ne pas trop le regarder.’ Maintenant, il me voit jouer et cela me rend très heureux de le voir dans les tribunes. »

Enzo porte un maillot jaune de Villareal « Papi 19 » sur le dos. Sans club, son père s’est ponctuellement entraîné avec les jeunes d’Alavès cet été, à 33 ans. Il a alors décidé de rejoindre Villareal pour la pré-saison et finalement signé un contrat. Il est mort de rire en expliquant sa présentation, accompagné d’un magicien qui l’avait fait apparaître dans une cage remplie de fumée. « J’étais caché: 45 minutes dans un tout petit espace, je transpirais et mon dos allait bien. J’ai dit: ‘Hey, la présentation était bien et tout, mais je peux jouer samedi maintenant.' »

Depuis, il a démarré toutes les rencontres. Un peu de douleur, une peur latente, une faiblesse à la cheville et un manque d’équilibre dans son corps, trop de poids d’un côté du corps, mais il dit: « Je me sens assez bien. Je suis optimiste. » Il a un contrat d’un an avec une seconde année en option mais pas de plan: « Simplement jouer le prochain match, et ensuite essayer de jouer le suivant. » Et faire de même le plus longtemps possible. Il a même été le meilleur joueur de Villareal jusqu’à présent.

Cela aurait-il pu être avec Arsenal ? « Non, ils ne voulaient pas. Ils ont été très très honnêtes. Mon idée était de faire à Arsenal ce que j’ai finalement fait ici. Je savais que le club qui me signerait devrait me voir d’abord. Personne ne me ferait signer de contrat comme ça. Une pré-saison avec Arsenal, les laisser me voir, et ensuite décider. Mais ils ne pouvaient pas attendre pour finaliser l’équipe. Ils m’ont dit qu’ils m’aideraient de n’importe quelle façon. Je l’ai compris, je l’ai respecté. Je leur en suis éternellement reconnaissant. »

« Les gens m’adoraient ici et j’aurais toujours un lien avec Arsenal, tellement d’affection. Ne pas avoir été en mesure de dire au revoir sur la pelouse de l’Emirates est un crève-cœur. Je voulais partir en face des fans. »

Il a été invité au match des Légendes d’Arsenal contre les légendes du Real Madrid ce samedi. Pour jouer ? « Non« , répond-il en rigolant. « C’est pour les ex-joueurs et je n’y suis pas encore. »

Donc Ludogorets, le 19 octobre 2016, était la dernière fois que nous avons pu voir Cazorla sous le maillot d’Arsenal. A l’exception d’une nuit en Avril, lors d’un entraînement à l’Emirates avant le match d’Europa League face à l’Atletico Madrid. Il y avait de la nostalgie dans ses paroles. « J’ai demandé si je pouvais parce que je ne savais pas si je pourrais jouer à nouveau. Ce n’était rien : quatre tours de terrain, des dribbles, mais le fait d’être à nouveau sur cette pelouse, ressentir la chaleur de la foule était génial. De me dire: ‘Je vais prendre quelque chose avec moi, même si je n’ai pas joué à nouveau.' » Mais Santi Cazorla a bien rejoué.

Le petit magicien a remis son chapeau.

Source : https://www.theguardian.com/football/2018/sep/07/santi-cazorla-villarreal-injury-arsenal-interview-sid-lowe

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