Unai Emery: « A Arsenal, pour la première fois, j’ai la sensation de gagner pour construire et non pour survivre »

Alors que la pression atteint son paroxysme, Unai Emery a choisi ce moment pour se livrer en détails. Le basque a en effet accordé une interview à Orfeo Suarez, rédacteur en chef de la division des sports d’El Mundo. Publiée ce lundi, Emery y parle Arsenal mais pas que. Au menu entre autres, du PSG, du Guardiola, un peu de VAR, du nationalisme et la nouvelle domination de la Premier League. Pour lâcher un peu de lest à quelques heures du dénouement, profitez donc de notre traduction.

Que d’informations dans cette interview ! Pour les fans d’Arsenal que nous sommes, on appréciera le contexte dans lequel Emery évolue actuellement. Unai se dit serein, notamment parce qu’on lui laisse le temps de construire son projet à sa manière. Selon lui, cela contraste totalement avec son passage au PSG où le technicien n’avait pas le respect qu’il mérite. Quand on se rappelle son traitement par la presse française, on imagine aisément son soulagement. Intéressant d’ailleurs de noter le commentaire du journaliste: « C’est le même Emery que lors d’autres rencontres, à Valence ou à Séville, mais c’est un entraîneur différent.« .

Autre point intéressant, Emery détaille ce qu’il souhaite pour son Arsenal. En gros, l’Espagnol veut faire progresser son équipe sur le plan physique pour être capable de répondre aux exigences de la Premier League. Cela lui permettra de jouer tant un jeu de possession, en s’appuyant sur Özil, qu’un jeu de transition, en profitant de la vitesse d’un Aubameyang. On retrouve bien ce qu’il a déjà mentionné plusieurs fois : il essaie de tirer le meilleur de ses contemporains. Si on sent bien l’influence de Guardiola, Unai s’intéresse aussi de très près aux entraîneurs les plus respectés actuellement tels que Simeone, Klopp, Pochettino ou Mourinho. Pour le reste, lisez, vous ne perdrez pas votre temps !

Orfeo Suarez (OS): « Vous avez l’air différent. »

Unai Emery (UE): « Je dirais que je suis moins mis sous pression, voilà tout. »

OS: « Pourquoi ? »

UE: « Ici tout est plus facile. Arsenal est un très grand club mais en même temps tout le monde est très proche et gentil. Tout le monde veut s’entre-aider. On sent qu’il y a du respect. »

OS: « Ce n’était pas le cas auparavant ? »

UE: « Tenez, par exemple. Quand je suis arrivé à Paris, j’ai essayé de parler en français et on s’est moqué de moi, on m’a dit que je ne le parlais pas bien. A Londres, j’utilise un anglais très basique et tout le monde me sourit et me remercie d’essayer. »

OS: « En Espagne, non plus, vous ne vous sentiez pas respecté ? »

UE: « Depuis que j’ai commencé à Lorca, où je suis passé directement de joueur à entraîneur, j’ai eu la sensation de devoir gagner pour survivre, pour ne pas me faire limoger. Les clubs ont deux portes, celle de devant et celle de derrière, et on se bat pour sortir par devant. Almeria, Valence… partout où je suis passé, je travaillais avec le stress de devoir gagner pour éviter le licenciement, pas pour grandir avec le temps. Quand je suis arrivé à Paris, ça ne s’est pas bien passé au début et je l’ai dit à Al-Khelaïfi. Il m’a répondu de ne pas m’en faire, qu’il s’agissait d’un projet à long terme, sur 2 ans. Nous avons gagné le championnat et deux coupes, mais ils voulaient que je fasse quelque chose de grand en Ligue des Champions. On revenait au point de départ. Le Barça et Aytekin nous ont éliminé la première saison et le Real Madrid la saison suivante. Avec le VAR aujourd’hui, Barcelone ne serait pas passé et le Real aurait vu son premier but annulé à Bernabéu. Curieusement, c’est à cause du VAR que le PSG a été éliminé cette saison face à Manchester United. Nous en avons parlé avec Al-Khelaïfi quand nous nous sommes croisés récemment. A Arsenal, pour la première fois, j’ai la sensation de gagner pour construire et non pour survivre. Je sens qu’on me respecte même quand nous perdons, mais je veux que les défaites nous fassent plus souffrir, parce que cela nous rendra plus compétitifs. Je veux que le chagrin qui accompagne une défaite dure plus de deux heures. »

OS: « Arsenal a besoin de titres. »

UE: « Moi, je ne promets pas de titres, je promets d’être compétitifs. Ce qu’a fait Wenger dans ce club, c’est très grand. Il a réussi à apporter une touche de qualité technique pour que le jeu soit plus fluide et plus clinquant, mais petit à petit il a un peu perdu le gène compétitif. C’est ce qu’on m’a transmis lors de mes entretiens avec Raul Sanllehi et avec les propriétaires et c’est ce pour quoi on m’a recruté . Le potentiel économique de United, City ou Liverpool est supérieur au notre, mais de par son histoire, ses supporters et sa structure, Arsenal doit faire partie des 10 premiers clubs d’Europe et nous devons l’y remettre. »

OS: « Cette finale, c’est un premier pas. »

UE: « Pas seulement pour le tire, mais pour la possibilité de retrouver la Ligue des Champions. Nous connaissons bien Chelsea, ils ont de la qualité et ils sont forts physiquement. »

OS: « Avez-vous l’antidote pour contenir Hazard ? »

UE: « Hazard est un joueur qui brille par moments, mais ce sont des moments déterminants. C’est ce que nous devons éviter. Chelsea peut gagner seulement sur ça, et cette capacité je ne l’ai vue que chez Messi, Cristiano, Neymar et Salah. Pour moi, ce sont les cinq meilleurs du monde. Par exemple, City a gagné sa deuxième Premier League mais en s’appuyant plus sur le collectif. C’est une équipe plus en harmonie, comme Tottenham, bien qu’ils puissent compter sur Harry Kane et Son. »

OS: « Quatre équipes anglaises en finales européennes et aucune espagnole. Comme les temps changent ! »

UE: « Il y a des explications à ça. »

OS: « Continuez. »

UE: « La Premier League est le championnat le plus puissant en termes de revenus et cela a un impact direct sur les signatures de joueurs. Vous me répondrez que ni Messi, ni Cristiano, ni Neymar, que je considère comme les trois meilleurs, ne jouent en Angleterre, ce qui est vrai, mais si on s’intéresse aux joueurs juste derrière eux, la majorité est ici. En plus, la Premier League est plus souple en terme de modèles, avec certains des meilleurs entraîneurs d’Europe, comme Guardiola, Klopp, Pochettino, ou avant Mourinho. Pendant des années, la priorité était de gagner la Premier League, en laissant les tournois continentaux au second plan. Cela a changé. Maintenant ils s’intéressent plus à l’Europe, les compétitions européennes commencent à être plus attirantes. »

OS: « Tout le contraire du Brexit. »

UE: « On sait comment fonctionne le nationalisme. Les crises lui donnent des ailes. Je suis basque, je sais de quoi je parle, et je me sens bien en tant que basque et espagnol. Quand il y a des problèmes, les gens ont tendance à se renfermer et à défendre leur territoire. Personnellement, je crois que nous devons ouvrir les frontières au lieu de les fermer et quand on sort de son pays, il faut faire un effort pour s’intégrer dans une autre culture. »

OS: « Comment cela se traduit au niveau footballistique ? »

UE: « Dans le football anglais actuel, peu importe ta puissance économique, avec ou sans le ballon, il faut tout faire à haute intensité. On ne peut pas jouer d’une autre façon: soit tu es à fond, soit tu meurs. Gagner les duels individuels est une priorité pour la majorité des entraîneurs, c’est très présent dans le travail. Le Big Data nous aide à y parvenir. Est-ce que cela veut dire que ce n’est pas un football technique ? Pas du tout. Cela signifie que la qualité technique ne suffit pas, au regard du niveau physique que t’imposent les adversaires, surtout à l’extérieur. Il faut être au même niveau pour pouvoir résister et ensuite avoir la qualité technique pour s’imposer de manière régulière. En France, par exemple, ce n’était pas nécessaire, parce qu’il y avait peu de matchs vraiment importants et la saison ne se décidait que sur quelques moments. C’est la barrière que nous devions franchir et je n’ai pas réussi à cause des circonstances dont nous avons déjà parlé. Ta capacité à réussir ou non se jouait sur quelques instants. Cela m’a rappelé Séville, où le président m’avait dit que pour les supporters l’important c’était d’arriver en finale, parce que ce sont des moments uniques. La régularité passait au second plan. En Premier League, tu es obligé d’être réguliers. Le football espagnol a dominé le monde grâce à la qualité technique, c’est ce qui compte le plus ici. Il y a également toute la technologie dont nous disposons en Premier League, mais l’intensité et la rapidité sont moindres. C’est ce qui ressort en Europe. »

OS: « Pourtant, c’est un des représentants de cette domination espagnole, Guardiola, qui règne en Premier League. »

UE: « Pep a réussi un mélange. Il a des principes sacrés, auxquels il ne touche pas, mais ceux-ci ne représentent que 50% de sa philosophie. Les 50% restants dépendent du scénario et des différentes variables. City a mis des buts sur des longs dégagements de son gardien, ce qui était impensable avec son Barça, et ils sont incroyables en contre. Une des choses qu’il a dit tout de suite en arrivant, c’est qu’il fallait être forts des deux côtés du terrain et pour ça il faut être forts physiquement. Il n’y a qu’à regarder ses grosses signatures: Stones, Walker, Mendy, Laporte… Ce sont quoi ? Des défenseurs. »

OS: « Le travail de Guardiola en Premier League est-il vraiment une grande référence ? »

UE: « Oui mais c’est parce que Pep est unique. Nous observons tous ce qu’il fait et comment il fait, même si nous ne sommes pas capables de le reproduire. Néanmoins, il y a des façons de réussir très diverses, même opposées, comme Guardiola et Simeone. Il y en a qui ne parlent pas avec les joueurs et d’autres qui n’arrêtent pas de le faire. J’aime savoir ce que font les autres, comment ils entraînent et comment ils se comportent avec les joueurs, et je garde ce que je crois juste de chacun d’entre eux, que ce soit Guardiola ou Mourinho.

OS: « Guardiola gagne la Premier League, vous arrivez en finale d’Europa League et Pochettino, qui a passé ses diplômes d’entraîneur en Espagne, jouera la finale de la Ligue des Champions. »

UE: « L’Espagne forme des entraîneurs de très haut niveau. Au-delà de la formation, nous avons appris les uns des autres. Le Portugal a aussi une école impressionnante, et étant donné que leur championnat est moins compétitif, beaucoup se sont exportés, ce qui les rend plus aguerris en comparaison. En France, ils voyagent moins et en Angleterre, on distingue une jeune génération, qui travaille bien et qui s’inspire du travail des entraîneurs plus accomplis comme nous. L’un d’eux est Gareth Southgate, le sélectionneur. »

OS: « Parmi ces modèles que vous citez, comment vous catégoriseriez-vous ? »

UE: « On a tout dit de moi, surtout, que j’étais un entraîneur défensif. Je réponds, comme je l’ai déjà dit, que je suis un compétiteur, et c’est ce que j’essaie de transmettre à mon équipe. A Arsenal, nous voulons élever petit à petit le niveau physique, sans que le reste en pâtisse. »

OS: « Mais un de vos arguments principaux, c’est la vitesse d’Aubameyang. »

UE: « C’est un footballeur d’espace, qui cherche à exploiter les zones dans le dos de la défense et qui en plus a le sens du but. Il nous apporte cette explosivité, qui est à la base de notre jeu. Le match au Mestalla, match retour des demi-finales, est un bon exemple, parce que c’était Valence qui devait porter le poids du match et cela allait nécessairement nous offrir des espaces. »

OS: « Est-ce celui-ci votre style de jeu ? »

UE: « Ça dépend. Je veux que nous soyons une équipe en mode caméléon, capables de jouer un jeu de possession, en attaque placée, contre des adversaires regroupés, ou bien de contre-attaquer. Pour le jeu de possession, nous avons la chance d’avoir Özil, qui a la capacité de découvrir des espaces. Pour contre-attaquer, nous avons Aubameyang. Si nous sommes capables de combiner ces deux aspects, nous grandirons. »

OS: « Du quel aurez-vous le plus besoin face à Chelsea ? »

UE: « Des deux. Les finales sont souvent plus qu’un seul type de match. »

OS: « Les trois titres gagnés avec Séville vous offrent-ils un avantage ? »

UE: « L’expérience d’avoir déjà été dans cette situation, mais il s’agit seulement d’une variable en plus. »

OS: « Et à quel point est-on marqué par une élimination comme celle que vous avez connue, avec un 6-1, au Camp Nou ? »

UE: « Je dis toujours que toutes les expériences sont bonnes à prendre, pas seulement les positives. Après la défaite, j’ai dû reconstruire mon puzzle personnel, parce qu’il y a toujours des pièces que tu ne peux pas contrôler. Certaines choses étaient de ma faute et d’autres, celle de l’arbitre. Avec le VAR, comme je l’ai déjà dit, nous nous serions qualifiés. Je suis absolument pour son utilisation, parce que cela permet plus de justice dans le football, mais je crois qu’il faut améliorer son interprétation. Parfois, il suffit d’un but comme celui de Mbia au Mestalla [le but de la qualification pour Séville pour la finale de l’Europa League en 2014, à la 94ème minute] pour franchir une barrière, comme ce qui s’est passé avec le but de Bakero à Kaiserslautern, sans lequel Barcelone n’aurait pas gagné sa première Coupe d’Europe, ou comme celui de Lucas Moura à Amsterdam. Parfois, les choses tournent en votre faveur, comme dans le cas de Mbia, et parfois ça va contre vous, comme sur le but de Sergi Roberto au Camp Nou. C’est le football, ma profession. »

OS: « Ce n’est pas à cause du football que vous perdez Mkhitaryan, mais bien à cause de sa crainte de se déplacer en Azerbaïdjan en tant qu’Arménien, dû au conflit latent au Haut-Karabagh. »

UE: « Les citoyens arméniens ne se sentent pas en sécurité en Azerbaïdjan tout comme ceux d’Azerbaïdjan en Arménie. Bien qu’ils aient garanti sa sécurité, ce n’est pas ce que lui ressent. Que l’UEFA décide de choisir Bakou et que ce détail lui échappe a été une erreur, mais le problème n’est pas de l’UEFA, c’est un problème politique. Nous en revenons, comme je l’ai dit, au problème des nationalismes. Au Pays Basque, nous avons eu un climat politique très difficile. Moi je me sens basque et espagnol, et je n’ai pas de problèmes à ce sujet, mais il faut faire un effort pour s’intégrer. Je le fais actuellement en Angleterre comme un Espagnol de plus.

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Source : https://www.elmundo.es/deportes/futbol/2019/05/27/5ceafeeefc6c83ef358b468f.html

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